Swaraj Kumar aka Rajah Bannerjee est propriétaire d’une plantation de thé au Darjeeling (Makaibari) depuis 4 générations et pionnier du «thé bio». |
Quand mes amis lui ont dit que j’étais d’origine autrichienne il a immédiatement évoqué son modèle et guide spirituel Rudolf STEINER, le philosophe scientifique autrichien du 19e siècle (*1861 - +1925) fondateur entre autres de l’anthroposophie et de l’agriculture biodynamique.
En fait c’était l’arrière grand père de Rajah, G.C. Banerjee, originaire d’une famille très aisée de Kolkata, qui s’était exilé à Darjeeling en 1840 parce que son père lui avait refusé des études en Europe. Installé comme correspondant de presse pour les militaires britanniques stationnés dans ce district frontalier, il avait réussi à acquérir des terrains de qualité à Kurseong, «le pays des orchidées blanches» en népalais ; âgé de vingt ans seulement il était alors l’homme le plus fortuné de la région. En 1859 il devenait en plus propriétaire de la plantation voisine, nommée Makaibari. A sa mort en 1898, son fils T.P. Banerjee hérite de l’ensemble des terres, qu’il confie à un agent commercial. En 1939 c’est la troisième génération, P.N. Banerjee, qui reprend la plantation, toutefois en gestion directe par lui-même. Bien que P.N. soit tout d’abord un chasseur passionné il commence à s’intéresser vivement aux cultures de thé sous l’influence d’un planteur britannique au savoir-faire légendaire, qui pratiquait le premier le «mulching» des théiers, préservant ainsi le sol à la fois propre et surtout fertile, en évitant l’érosion des terrains en pente par les pluies violentes récurrentes – Darjeeling veut dire «pays du tonnerre» en népalais !
La propriété de Makaibari s’étend sur une aire de 6 pentes séparées et mesure 670 ha au total. Toutefois de cette surface considérable seulement 270 ha sont plantés de thé alors que chaque plantation de thé est entourée de zones forestières en sorte que prés de deux tiers de la propriété servent d’écrin de protection aux théiers. Plongé dans cet univers nouveau, naturel et en partie même sauvage Rajah commence par dévorer toute la littérature scientifique disponible sur l’agriculture en altitude et la culture du thé. |
Vaste programme qui convient parfaitement à sa fougue.
Plusieurs incidents le font rapidement prendre conscience de ce qu’il appelle «la chaîne de la destruction» du faisan empoisonné par des insecticides, dévoré par un chat sauvage, dévoré à son tour par une panthère, tous morts et il demande à son père d’arrêter le traitement phytosanitaire. Après une fin de non recevoir il met quelques vieux ouvriers dans la confidence et ensemble ils se mettent à gérer à part une parcelle bien éloignée : sans produits phytosanitaires et en apportant secrètement du fumier généré par les vaches du village. Ce projet permet au bout d’un an de collecte de convaincre son père de la qualité superbe des thés ainsi récoltés.
Il constate aussi rapidement que le «mulching» déjà mis en œuvre par son père peut être amélioré de manière ciblée en apportant des fumures d’animaux. Fasciné par l’importante biodiversité des forêts qui entourent les thés, il commence à façonner son concept d’interdépendance harmonieuse des différentes composantes naturelles de cet environnement, les villages avec leur populations et leurs animaux domestiques, les plantations de thé, les forêts et leurs animaux sauvages.
L’achat de 1000 vaches produit assez de compost pour les jardins potagers des villageois et pour les théiers, l’énorme effort de l’épandage à dos d’homme est fourni comme contrepartie, puisque le lait apporte nourriture et revenu. L’achat d’arbres pour reboiser la forêt, chaque famille étant obligée de planter au moins un bambou et un arbre fruitier, visait l’approvisionnement en bois à brûler, bois d’ouvrage, fruits. Huit années passent à mettre tous ces projets en œuvre et c’est une superbe récolte que l’on attend, mais fin mars 1978 une tempête de grêle s’abat sur la région et détruit tout en moins d’une heure. Il faudra deux ans pour réparer les dégâts mais Rajah continue dans sa voie.
En 1988 il relance son projet d’introduire du « bio – gaz » à partir du fumier de vaches et cette fois une installation par foyer est une réussite immédiate ; entre 2 à 3 h gagnées par jour puisque il n’est plus nécessaire de ramasser du bois mort pour cuisiner les repas !
Cette même année une rencontre fortuite à Londres le met sur la voie de la certification «bio» et lui fait redécouvrir les principes de l’agriculture «biodynamique» élaborés par Rudolf Steiner en 1922, qui s’appliquent merveilleusement et complètement à ses jardins de thé. Steiner était aussi philosophe et pédagogue et son enseignement est donc également appliqué à la gestion des villages et à l’éducation des enfants. En 1991 Makaibari est le premier jardin de thé à obtenir la certification «Demeter». Le conseil des sages, qui dirige Makaibari, est présidé par Srirupa, l’épouse de Rajah, qui participe aussi aux réunions de la Fair Trade Labelling organisation, FLO, fondée à Bonn (Allemagne) en 2000. |
Je vais aller lui rendre visite à Makaibari en avril prochain et vous raconterai.